vendredi 24 août 2007

Atomic road (2)

Dimanche 5 août 2007, Nagasaki







Il m'a fallu la matinée pour rejoindre Nagasaki, seconde étape de mon parcours. D'abord un Shinkansen jusqu'à Hakata, puis un train local qui finit par longer la mer. Affamé au sortir de ce long trajet, je suis entré dans le premier restaurant que j'ai croisé, où j'ai commandé au hasard sur un menu non-traduit. J'ignore donc ce que j'ai mangé, au reste assez indescriptible sans être foncièrement mauvais, peut-être un peu lourd pour le climat.

Dès mes forces reprises, je suis allé me jeter de nouveau dans les horreurs nucléaires, avec le remarquable hall mémorial pour la paix, architecture futuriste pour un hommage digne et très pudique doublé d'une documentation moderne et originale.

La colonne que l'on voit au centre de la photo contient dans des registres les noms des victimes de la bombe, liste régulièrement mise à jour puisque les séquelles des radiations continuent de faire des victimes, plus de soixante ans plus tard.

J'ai laissé un message pour la paix via un écran tactile qui permettait texte, dessin et photo, j'en ai lu beaucoup. Très émouvant.

Le musée de la bombe atomique ressemble beaucoup à celui d'Hiroshima, avec une documentation plus pléthorique. Le temps de tout regarder, il était plus de 16 h quand j'allais prendre ma mignonne chambre japonaise au centre catholique.

De là j'avais vu sur la cathédrale Urakami située dans le quartier où la bombe a explosé. Achevée une première fois en 1925 après trente ans de chantier, elle était avant sa destruction la plus grande église d'Orient, pouvant accueillir jusqu'à six mille personnes. Le bâtiment qui la remplace, bien que plus modeste, reste la plus grande cathédrale du Japon, pour un résultat impressionnant et joliment décalé.


Mon sac enfin allégé, j'ai traversé le parc de la paix qui accueille plusieurs oeuvres commémoratives offertes à la ville par différents pays, ainsi que la massive statue de la Paix de Kitamura Seibo.







A quelques pas se trouve le parc de l'épicentre, où une stèle de marbre indique l'endroit précis au-dessus duquel la bombe a explosé.









Un tramway me mena ensuite au centre-ville, où j'ai pu parcourir Chinatown puis les Dutch Slopes, encore appelées Hollander Slopes, ruelles sinueuses très européennes abritant quelques maisons de notre cru.


Mais la fatigue m'a rattrapé et c'est avec un plaisir non dissimulé que j'ai savouré quelques bières Kirin (pourtant fort mauvaises) sur le port de Nagasaki, pendant que le soleil se couchait nonchalamment derrière les collines qui barrent la ville à l'ouest.

jeudi 23 août 2007

Atomic road (1)

Samedi 4 août 2007, Hiroshima
Levé aux aurores ce matin pour aller à la gare de Shin-Osaka prendre un shinkansen pour Hiroshima. On a déjà tant dit et répété sur la tragédie de ce lieu... Et ses chiffres terribles qui résonnent en écho : 70.000 personnes tuées au moment de l'explosion de Little Boy, 140.000 à la fin de l'année, trop de zéros pour trop de vies. C'était le 6 août 1945, à 8h15. Une coïncidence fortuite me fera y être 62 ans plus tard presque jour pour jour. J'ai l'étrange sentiment d'avoir rendez-vous avec l'Histoire du monde, qui est aussi la mienne.

Et puis j'arrive à Hiroshima, tôt dans la matinée; c'est que le TGV nippon file à toute vitesse, comme s'il était important que j'aille voir. Au sortir de la gare, la ville n'affiche rien de différent de ses consoeurs. Peut-être un peu moins haute qu'Osaka, peut-être un peu plus que Kyoto, mais toujours l'omniprésence urbaine, et ses répliques de la rue en sous-sol, ses piétons qu'on préfère enterrer plutôt que perturber le fluide trafic des moteurs à explosion. Et il faut marcher longtemps, sur ou sous le trottoir, avant d'arriver à ce qui nous intéresse. Mais on y arrive, forcément. En remontant Aioi-dori, sur la droite apparaît le plus prégnant témoin, l'ancien Office de promotion industrielle, laissé en l'état, une ruine d'où émerge la carcasse squelettique d'un dôme. Presque à l'aplomb de l'explosion, il est l'un des rares bâtiments de la zone à n'avoir pas été transformé en cendres par la déflagration. Il porte aujourd'hui le nom de « Dôme de la bombe A ».

En poursuivant son chemin on traverse un pont en forme de T dont l'arrête transversale mène, vers le sud, au Parc du mémorial pour la paix, qui termine une presqu'île coincée entre deux rivières. Dans ce mignon petit parc boisé s'élèvent plusieurs monuments :

un cénotaphe rassemblant les cendres de 10.000 personnes, surmonté d'une flamme pour la paix qui a juré de ne s'éteindre qu'avec la dernière arme nucléaire, un monument aux enfants pour la paix.




Tout cela se termine par le Musée du mémorial pour la paix, qui illustre avec force détails l'avant, le pendant et surtout l'après. Certaines illustrations ou récits sont à la limite du soutenable, même si tout ce discours est bien justifié par le militantisme anti-armes nucléaires clairement affiché. Je me contenterais, ici, des maquettes reconstituant ce quartier juste avant, et juste après.

On en ressort les tripes nouées et pas très fier d'être humain – soi-disant. Parmi les nombreux chiffres cités, un autre a retenu mon attention : au total, le Manhattan Project qui permit la réalisation de la bombe en un temps record aura mobilisé 120.000 personnes. En face, 140.000 victimes entre le 6 août et la fin décembre. Et j'ignore quoi penser de ce sordide pro-rata de presque un pour un. Sinon qu'ici il s'agit essentiellement de civils, que les 120.000 premières ont oeuvré dans le confort douillet des laboratoires et ateliers de l'université de Berkeley, et que les 140.000 suivants n'ont rien vu venir ni même eu l'occasion de se défendre. Alors ça ne veut pas dire grand chose, sinon qu'il y a presque autant de bourreaux indirects que de victimes indirectes. Et que l'adage qui veut qu'on est toujours plus intelligent à plusieurs est vrai même dans la pire des vilenies.

Nécessaire après cela de se nettoyer la tête. L'hôtel où j'avais réservé une chambre est situé à quelques minutes du parc, aussi suis-je allé déposer mon bagage. En voyant le luxe de l'Aster Plaza j'ai immédiatement vérifié auprès de la réception si j'avais bien compris le prix d'une chambre simple, et m'étonne encore qu'elle fut si peu chère.

J'étais donc plus léger à deux égards en prenant un train puis un ferry jusqu'à la petite île de Miyajima.

Quelle douceur après tant d'atrocités ! Qu'il fut bon de flâner sur le bord de mer, au milieu des daims apprivoisés près à échanger toutes les caresses du monde contre quelque pitance, sous la présence bienveillante de l'immense tori vermillon les pieds dans l'eau. Parti à la recherche de quelque temple si bien perdu sur les hauteurs boisées que je ne l'ai pas trouvé, mais qu'importe, il est si bon de marcher au milieu d'une forêt qui confine à la jungle.


Retour à l'hôtel pour une douche bien méritée avant d'aller découvrir Hiroshima by night, et notamment son bar l'Opium et son happy hour qui en dure trois. Longue conversation en anglais avec Eto, content de partager sa culture. En arborant un crucifix et une médaille de la vierge Marie, Eto me semble emblématique du rapport que les japonais entretiennent avec le divin, ou plutôt les divins : habitués au polythéisme que l'on retrouve dans le bouddhisme et le shintoïsme, ils ne négligent aucun dieu, même celui que bien des occidentaux croient unique, et n'ont aucun mal à l'associer à leur panthéon personnel s'il y a de bonnes idées à prendre. Une leçon de tolérance, quelque part.


Kobé-attitude

Jeudi 2 août 2007, Kobé

Brice et moi avons retrouvé Yuriko à Kobé pour visiter une ville fort séduisante. Bien sûr, autour de la gare et du port, c'est l'habituelle urbanisation nippone, toujours un peu effrénée, mais pas chaotique. Kobé, sillonnée d'interminables galeries marchandes couvertes et climatisées, offre de magnifiques gratte-ciel. Même les doubles niveaux d'autoroutes suspendues semblent s'intégrer dans le paysage. Le petit quartier chinois n'est pas dénué de charme avec ses sculptures de dragons redondantes.










Nous avons fait un long parcours dans un métro aérien perché au-dessus de la ville, en passant par l'un des spectacles les plus étonnants que j'ai vu, et qui illustre bien les limites de l'aménagement à tout crin et la corruption de certains hommes politiques japonais : l'aéroport de Kobé. Situé à quelques minutes de vol du grand aéroport international du Kansai, déjà sous-exploité, il n'a aucune réelle utilité et ne peut s'expliquer que pour d'obscurs raisons politiques. Et pourtant il est là, sur son immense île artificielle, avec son immense pont et monorail pour s'y rendre. Et il est vide. Absolument aucun avion sur le tarmac, des engins immobiles, des salles vides et un parking silencieux. Ah si, un avion a atterri au moment où nous reprenions le métro, on imaginait tout le staff en émoi d'avoir enfin quelque chose à faire.

Mais Kobé est aussi la ville qui fut détruite en janvier 1995 par l'un des séismes les plus violents du siècle dernier. Une portion de quai a été conservée en l'état, à côté d'un mémorial émouvant, qui permet de mesurer l'ampleur du désastre. Difficile de croire que cette cité n'était plus que ruine il y a douze ans.

Le soir venu, mes guides m'ont fait découvrir le charmant quartier de Kitano, sur les hauteurs de Kobé, aux ruelles étroites et sinueuses et où s'élèvent de belles maisons de style européen (surtout anglais) construites par des négociants étrangers il y a plus d'un siècle, et parfaitement conservées. On pourrait se croire sur les pentes de la Croix-Rousse. Ou encore à Montmartre...




Pour la bonne bouche, je ne peux résister à l'envie de publier ce morceau choisi de « franponais » : comme dans beaucoup d'autres pays, la France véhicule une image chic, romantique et gastronomique. Aussi croise-t-on plusieurs magasins affublés de noms français, comme par exemple la chaîne de prêt-à-porter « Comme ça ». Parfois, hélas, les difficultés orthographiques de notre langue s'imposent, ce n'est pas la « Boulangerie patissrie » (sic) qui dira le contraire. Mais le morceau de choix reste ce mur peint découvert à Kobé. Je vous laisse apprécier...


mercredi 22 août 2007

Mino-rité

Mercredi 1er août 2007, Mino


Mino est une petite bourgade située à trente minutes au nord d'Osaka, qui ne figure pas sur les guides, et pourtant, il s'y trouve un magnifique parc, qui remonte le cours d'une rivière, jusqu'à une belle cascade. La rivière, propice à des parties de base-ball comme à la méditation, coule au fond d'une vallée très encaissée.

















De part et d'autre montent une multitude de petits sentiers très pentus, à flanc de montagne, que je me suis empressé de gravir. Là, nulle présence humaine, de la Nature belle et sauvage, avec un strict minimum d'aménagement ! Une forêt dense et fraîche, qui confine à la jungle tropicale, résonnant de chants d'oiseaux qu'on entend sans jamais les voir. Une véritable respiration après ces longues journées de jungle urbaine et bétonnée.



lundi 20 août 2007

Refaire le monde

Mardi 31 juillet 2007, Osaka

Journée de pause et de repos après la folle nuit de la veille. Lecture, écriture, tri de photo, petite balade sans forcer dans le quartier de Namba.

Mais Osaka c'est aussi, le soir venu, sur le petit mais confortable balcon de l'appartement de Sakuragawa, près du linge séchant, de longues et toujours passionnantes conversations avec Brice, comme à Lyon lorsque nous étions étudiants, à une douzaine d'années et près de dix mille kilomètres de là. La bière Yebisu a remplacé le thé, les cigarettes en vente libre en ont remplacé d'autres d'origines plus obscure, mais ce sont toujours de longues digressions, les parenthèses dans les parenthèses, pour aborder, de front et sans hiérarchie, la culture japonaise, les films de Kitano, les BD de Franquin et Goetlib, la sexualité, la politique, l'inquiétant et enthousiasmant devenir du monde. Finalement, au sein de ce mouvant tourbillon qui nous emporte tous, il ne semble plus rester, comme ultime constance, comme ultime pilier, que nos longues digressions. On a refait le monde.

dimanche 19 août 2007

Gucha gucha ni naranai yo ni

Lundi 30 juillet 2007, Kyoto

Troisième sortie à Kyoto, en compagnie de Brice et de trois de ses amis. Nous avons remonté une partie du Chemin de la Philosophie, petite voie pavée qui longe un ruisseau où nagent nonchalamment quelques carpes (ça alors, des carpes !). L'occasion d'admirer un peu la faune et la flore...










Le chemin nous mène au Eikando Zenrin-ji, peut-être le plus beau de tous les temples que j'ai pu croiser ici. Tout en bois, d'une facture et d'une finesse incroyable, il présente une succession de bâtiments reliés par des ponts et autres passerelles.


















Dans la salle principale (Amida-do) trône la statue Mikaeri-no-Amida représentant le Bouddha Amida regardant par-dessus son épaule, amenée d'Osaka en 1607. Nous y entrâmes par hasard au moment où quatre moines débutaient un office religieux. Bougies et encens furent allumés et les moines agenouillés déclamèrent des prières sous forme de chants graves et mélodieux, au rythme de gongs actionnés par l'un d'eux.

L'ensemble est entouré de somptueux jardins, où l'on retrouve les éléments traditionnels tels que l'eau, le petit pont courbé, les lanternes.

Egalement une belle déclinaison de jardin sec, où l'eau est figurée par des graviers soigneusements ratissés, et les îles par des rochers.


Ajoutons à cela les paravents décorés de magnifiques peintures, et tout ici semble consacré à la méditation et à la paix intérieure.




















Après la visite nous sommes allé prendre un café sur une terrasse le long de la Kamogawa.
C'est là que Michel, résidant au Japon depuis huit ans et parfaitement bilingue, m'a noté la phrase que j'ai utilisée en titre de ce billet, qui est la transcription de « Sinon c'est le bordel », leitmotiv que Brice et moi répétons souvent face à l'obsession du rangement et de l'ordre dont font souvent preuve les Japonais.










Les chaises ont été prises à Hiroshima (j'anticipe un peu) mais elles ont toute leur place ici ; en regardant de plus près on peut voir les cordeaux préalablement tirés (un gigantesque quadrillage) afin que l'alignement soit irréprochable – ce qu'il était bel et bien. J'ai croisé nombre d'exemples comparables durant mon séjour, depuis les buttoirs de ciment au fond des places de parking, histoire que les roues soient bien placées, jusqu'aux aménagements draconiens pour bien séparer les voies piétonnes des voies carrossables, comme ces passages sous-terrains pour traverser des rues étroites (selon les critères locaux) et visiblement peu fréquentées. Gucha gucha ni naranai yo ni.

Le repas qui suivit fut un grand moment de Japon, nous avons dîné dans un restaurant typique, assis sur des tatamis face à des tables basses qui accueillent une plaque chauffante. Le serveur apporte différents ingrédients que l'on mélange afin de confectionner des sortes d'omelettes délicieuses, le tout arrosé de bières bien fraîches.








Après un dernier verre dans un bar africain (!), Brice et moi nous avons sauté dans le dernier train pour Osaka. La soirée ne faisait pourtant que commencer : Chris, le colocataire néo-zélandais de Brice, lui téléphona pour nous inviter à la rejoindre dans un pub irlandais d'America mura qui répondait au nom de The Cellar. Le bar, en sous-sol, était presque exclusivement rempli d'occidentaux. Certains jouaient des morceaux sur une scène ouverte. J'avais dit à Chris que je faisais des chansons, il en a parlé au responsable de la scène qui m'a proposé d'y faire un tour.
« Yeah, but I need a guitar.
- No problem, I have one.
- And a capo...
- Yeah, no problem. »

Il m'a branché, et j'ai donc eu l'insigne honneur d'interpréter quatre chansons à un public que l'alcool rendait particulièrement indulgent. J'ai bien foiré la première reprise, The Dangling Conversation de Paul Simon (quelle idée aussi de commencer par ça...), mais j'ai ensuite glissé une mienne chanson. Sachez donc que Le petit Nicolas a été interprétée à Osaka, atteignant dès lors un indéniable statut international. Brice est rentré, je suis resté avec Chris et ses amis anglo-saxons pour aller écumer deux autres bars jusqu'à l'aube...